Béjaïa, la ville algérienne qui a propulsé les chiffres arabes en Occident

Au Moyen-Âge, Béjaïa est une importante cité religieuse, scientifique et commerciale de la Méditerranée. À cette époque, la ville accueille de nombreux savants. C’est notamment depuis cette cité d’Afrique du Nord que les chiffres arabes vont être propulsé vers l’Occident, grâce au rôle d’un célèbre mathématicien.

Port et ville de Béjaïa (Crédit photo : Direction l'Algérie, la série documentaire / Ayadi Productions)

Au Moyen Âge, Béjaïa est un port actif ouvert sur la Méditerranée. Mais la prospérité médiévale de Béjaïa ne vient pas seulement de son trafic maritime. Elle tient aussi à la rencontre entre infrastructures du port, institutions (écoles, madrasas, cercles d’étude) et personnes (savants, juristes, poètes, médecins, marchands) qui font de la ville un nœud d’intelligences. La cité est ainsi à cette époque une cour érudite où l’on échange aussi naturellement les cargaisons que les manuscrits. Dans ses rues, le commerce se mêle à la spéculation intellectuelle.

Dans cette cité médiévale, la science est donc une pratique ancrée dans la vie urbaine : des copistes y reproduisent et diffusent les textes, des négociants y transportent avec les ballots de cire et d’huile des cahiers de notes, des maîtres y commentent, disputent et ordonnent, tandis que des élèves y compilent, adaptent et expérimentent.

L’un de ces élèves, justement, n’est autre qu’un célèbre mathématicien qui va jouer un rôle crucial dans la diffusion des chiffres arabes depuis Béjaïa en direction de l’autre côté de la Méditerranée.

La suite de Fibonnaci

À la fin du 12e siècle, un jeune Pisan suit son père négociant à Béjaïa. Aujourd’hui considéré comme le premier grand mathématicien de l’Occident chrétien, Leonardo Fibonacci y étudie "pour s'initier aux systèmes de numération, aux méthodes de calcul et aux techniques commerciales des pays de l'islam", nous explique Djamil Aissani, dans l'épisode 3 de Direction l'Algérie.

À Béjaïa, Fibonacci apprend à compter autrement en découvrant sur place les systèmes de numération en usage dans les comptoirs du monde islamique, les méthodes de calcul adaptées au commerce, l’art d’aligner des comptes sans se perdre dans la lourdeur des chiffres romains alors utilisé en Europe. En 1202, rentré en Italie, il popularise ce qu’il a appris à Bugia dans son désormais célèbre ouvrage : le Liber Abaci. Grâce à lui, la numération hindo-arabe, manipulée depuis longtemps par les érudits de la région du Maghreb, va progressivement devenir la norme en Europe latine. Pour les marchands de ce continent, c’est désormais un gain de temps et de fiabilité qui leur permet d’additionner des cargaisons, de calculer des parts, de convertir des monnaies.

"Aujourd'hui, tous les informaticiens, tous les financiers connaissent la suite de Fibonacci", souligne le professeur à l'université et président d'un groupe d'études sur l'histoire des mathématiques à Béjaïa.

Ibn Hamdis, Ibn Khaldoun…

Exilé de Sicile, le poète Ibn Hamdis a également séjourné à Béjaïa dans laquelle il trouve asile, dans cette ville où l’on estime l’art autant que la diplomatie. Plus tard, c’est l’historien Ibn Khaldoun qui sert à Béjaïa à partir de 1365, y administre, y pense l’histoire en homme d’État : sa présence atteste le rôle politique et culturel de la ville dans le Maghreb médiéval.

Avant lui, c’est Raymond Lull qui arrive à Bougie en 1307. L’objectif du voyage au Maghreb de ce célèbre philosophe chrétien est de prêcher, de convertir les Arabes. “Sur la grande place, il clame que le christianisme est meilleur que l’islam et qu’il est prêt à le démontrer. Il a failli être lynché par la population, mais le prince va le mettre en résidence. Pendant 6 mois, les savants de Béjaïa vont aller le voir et ‘disputer’, ce qui veut dire qu’ils vont dialoguer dans le domaine de la religion, de la philosophie, des mathématiques, etc.'“

Libéré, il retourne en Europe où il reconstitue ses discussions avec les savants musulmans de Béjaïa. La “disputatio”, les “disputes” du théologien sont entrées dans l’histoire, car elles constituent la seule discussion méthodique de Lulle avec un savant musulman dont il reste un compte-rendu.

Houari Ayadi

Producteur-réalisateur de la série documentaire Direction l’Algérie (AYADI Productions - A. Prods)

https://www.directionlalgerie.com/
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