Le chaâbi d’Alger, la voix populaire d’Abdelkader Chaou
Né dans la Casbah, le chaâbi est plus qu’un genre musical : c’est une manière de raconter la ville, de mettre en rythme ses départs et ses retrouvailles. Fin des années 90, ce chant populaire d’Alger a mondialement fait parler de lui avec la célèbre et indémodable chanson "Ya Rayah".
Né au début du 20e siècle dans la Casbah, le chaâbi est, comme son nom l’indique, le chant populaire d’Alger. Héritière de la musique arabo-andalouse, cette poésie en arabe algérien a pour ancêtre le medh, un chant religieux.
Une poésie urbaine
Fait d’odes qui racontent l’amour autant que la morale et la mémoire, le chaâbi s’adresse au frère, à la sœur, à l’exilé, à l’aimée, aux défunts... Les textes de ce style musical épousent des sujets universels, comme les souvenirs de jeunesse, la famille ou encore la séparation.
“La Casbah c’est les racines du chaâbi", les racines des anciens combattants pour l’indépendance du pays”, explique l’artiste de chaâbi Abdelkader Chaou que nous avons interrogé durant le tournage de l’épisode 2 de Direction l’Algérie.
“La Casbah nous sommes ses fils. L’Algérie vous êtes ses filles. Dieu est grand, Dieu est grand”, chante Abdelkader Chaou dans une maison traditionnelle de la vieille ville.
Un des doyens du genre
Avec ses presque 50 ans de carrière, Abdelkader Chaou est aujourd’hui l'un des plus anciens interprètes du genre. Né dans la Casbah, là où il a passé toute son enfance et où il a aussi fait ses classes, l’artiste n’y était plus revenu depuis un certain temps. Pour Direction l’Algérie, il a accepté de revenir arpenter les ruelles de la vieille ville et se remémorer des souvenirs : “Ça fait longtemps. Je suis monté dans la maison où je suis né. Ma chambre y est toujours“, se confie-t-il. “J’ai chanté dans la Casbah. Les femmes étaient en haut et nous en bas, dans le patio. Il y avait la scène, les jasmins jetés par les femmes, les youyous…”
Abdelkader Chaou est notamment revenu sur ses débuts et a rappelé le rôle important joué dans sa carrière par Mahboub Bati, un des fondateurs du chaâbi moderne.
L’art de la transmission
Au cœur des trajectoires artistiques de nombreux chanteurs de chaâbi, Mahboub Bati occupe un rôle fondateur : pédagogue, musicien, arrangeur, auteur-compositeur de talent, il a contribué à structurer le chaâbi moderne dans les années 1970. Reconnaissant, Abdelkader Chaou sait qu’il lui doit beaucoup : “C’est lui qui m’a fait mon nom, à moi et aux autres chanteurs de chaâbi : Guerrouabi, Amar Ezzahi, El Ankis”.
Mahboub Bati a lui-même beaucoup appris d’autres maîtres du chaâbi et de la musique arabo-andalouse, tel que Khelifa Belkacem ou encore l’incontesté El Hadj M’hamed El Anka. Ce dernier a donné à l’ancêtre du style, le medh, une nouvelle impulsion en modifiant son orchestration et en ajoutant de nouveaux instruments tels que la derbouka ou le banjo. Il y a également introduit la fameuse mandole, sorte de guitare typiquement algérienne qui est depuis devenu l’instrument phare du chaâbi.
Considéré comme le plus grand interprète du genre, c’est aussi El Anka qui a donné envie à Abdelkader Chaou de pousser la chansonnette : “J’ai découvert le chaâbi dans la Casbah avec El Hadj El Anka que j’aimais beaucoup.” Car dans la maison familiale, le jeune Chaou l’écoutait admiratif : “Il y avait un petit poste d’époque. J’attendais la spéciale chaâbi de 20h à 22h. C’était en direct avec comme chef d’orchestre El Anka. Il y avait aussi d’autres chanteurs comme Boudjemaâ El Ankis, Mohamed Zerbout, les précurseurs, les anciens. Et à l’école, j’ai commencé avec un petit orchestre à moi”.
Le 5 juillet 1962, le jour de l’indépendance de l’Algérie, le pays est en fête, le peuple laisse éclater sa joie. “Tous les quartiers ont organisé des soirées. Où j’habitais, il y avait une grande placette. Le grand chanteur Farid Oujdi était là. Ils m’ont invité à chanter. J’avais vraiment honte. J’ai chanté une chanson. Les gens ont applaudi. À partir de là, j’ai commencé tout doucement, jusqu’à maintenant, voilà”, nous raconte l’artiste.
De Dahmane El Harrachi à l’écho mondial
Dans toutes les scènes où il se produit, en Algérie comme à l’international, Chaou interprète un morceau bien connu du public : "Ya Rayah" de Dahmane El Harrachi.
Grand maître du chaâbi aujourd’hui décédé, El Harrachi avait à son actif un répertoire constitué d'environ 500 chansons dont il est l'auteur. Sa plus célèbre, “Ya Rayah", “Celui qui s'en va”, est sortie en 1973. Devenue incontournable dans toutes les fêtes algériennes et jouée bien au-delà, dans les établissements de nuit du monde entier, cette musique dansante cache en réalité un texte nostalgique qui traite de l'émigration :
"Ô toi qui t'en vas, où pars-tu ? Tu finiras par revenir
Combien de gens imprudents l'ont regretté avant toi et moi"
"Combien de pays surpeuplés et de régions désertes as-tu vu ?
Combien de temps as-tu gaspillé ? Combien vas-tu en perdre encore et que laisseras-tu ?
Ô toi l'émigré, tu ne cesses de courir dans le pays des autres
Le destin et le temps suivent leur course mais toi tu l'ignores"
C’est la reprise par Rachid Taha en 1998 de cette célèbre chanson qui a mondialement fait parler du chaâbi. De nombreuses fois reprises, elle a été chantée dans plusieurs langues.