La Casbah, la ville originelle d’Alger

Contrairement à ce que beaucoup croient, la Casbah n’est pas un quartier. Au-dessus de la baie d’Alger, elle est une véritable ville dans la ville. Citadelle faite de ruelles, d’escaliers et autres terrasses qui s’emboîtent, la Casbah est devenue un symbole : celui d’une culture algérienne qui conjugue mémoire et résistance.

Une ruelle de la Casbah d'Alger (Crédit photo : Direction l'Algérie, la série documentaire / Ayadi Productions)

Ancien comptoir phénicien, la Casbah a été fondée au 10e siècle par Bologhine ibn Ziri, prince berbère de la dynastie des Zirides qui contrôlait la cité à cette époque. Bologhine a construit sa médina sur les ruines d’Icosium, l’ancienne ville romaine. Façonnée plus tard par les Ottomans qui lui ont donné son nom “Al-qasabah” (la citadelle), la Casbah devient du 16e au 19e siècle une ville-maison où se construisent des clos résidentiels avec patios, des mosquées de quartiers, et où se développent notamment ateliers et autres souks.

Tissu serré de ruelles, d’escaliers, de seuils et de terrasses, de palais et autres hammams… La Casbah est la ville originelle d’Alger : “C’est Alger même ! La Casbah pour nous, c’est la citadelle de période ottomane. Il y a une ville et il y a une citadelle”, lance Omar Hachi, historien de la ville, pour nous aider à différencier la vieille ville de la ville contemporaine.

La vieille ville

La citadelle algéroise est un véritable écosystème. Les maisons n’y sont pas des demeures isolées, elles soutiennent la rue et, par leurs terrasses, forment des belvédères et des continuités d’ombre. Les placettes et le voisinage en général produisent une proximité active : la Casbah est une ville on l’on est en interaction constante, on se croise, s’échange, se parle…

Dans une ruelle typique de cette vieille ville, l’historien que nous avons interrogé pendant le tournage de l’épisode 2 de Direction l’Algérie nous raconte pourquoi les constructions de la Casbah sont un enchevêtrement de plusieurs époques : “À chaque fois qu’il y a eu un tremblement de terre, il y a eu de nouvelles constructions. Pratiquement en 1716, il y a eu un véritable tsunami à Alger et la ville a dû être reconstruite“. La majeure partie des bâtisses toujours présentes dans l’ancienne cité daterait de cette période. À ces constructions d’époque ottomane, s’ajoutent “d’autres constructions durant la période coloniale. À partir des années 1834-1835, on a commencé à détruire des maisons vernaculaires pour les remplacer par des maisons coloniales”.

Sur la place Ibn Badis, située à l’une des entrées de la citadelle, la mosquée Ketchaoua résume ce palimpseste : édifiée à l’époque médiévale, remaniée sous les Ottomans, convertie pendant la colonisation française puis restituée à l’indépendance, elle est témoin de plusieurs siècles d'histoire de la ville blanche.

Le cœur de la résistance

Le 5 juillet 1830, l’armée française entre dans Alger. Percées, alignements, destructions… L’urbanisme colonial va profondément changer l'aspect de la médina. Car à l’origine, la Casbah s‘étendait jusqu’à la mer. Elle sera désormais reléguée à l’arrière-plan d’une ville nouvelle, haussmannienne, avec son front de mer et ses arcades. Les Français démolissent les murailles de la vieille ville et détruisent une grande partie de la basse Casbah pour y construire une grande place. De nouveaux quartiers européens sont érigés. La citadelle, qui représentait la totalité de la ville d'Alger en 1830, devient petit à petit un sous-espace urbain, résiduel et instable. Le centre-ville, économique et politique, est déplacé vers ces nouveaux quartiers coloniaux.

Pendant la guerre d'indépendance algérienne, la Casbah est un des bastions des résistants algériens. C’est même le cœur de la résistance. C’est dans la vieille ville par exemple que l’organe central du Front de Libération Nationale (FLN), principal mouvement de résistants à l’époque, décide de s’établir. Avec ses planques, ses caches multiples, ses nombreux agents, la médina est le principal foyer de soulèvement de la bataille d’Alger en 1957.

Un patrimoine mondial à préserver

Sur son site web, l’Unesco écrit que la Casbah constitue un type unique de médina, ou ville islamique d’une valeur universelle exceptionnelle”. Également chercheur et ancien directeur des archives de la wilaya d’Alger, Omar Hachi a fait partie de la délégation qui a porté le dossier de la Casbah à l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture. Désormais classée au patrimoine mondial depuis 1992, la médina attend aujourd'hui d'être complètement restaurée.

Dans l’épisode 2 de notre série documentaire, l’intellectuel témoigne de l'importante tâche à accomplir. Car la Casbah d’Alger n’est pas un monument isolé. Faite d’habitats, d’ateliers, d’escaliers, de terrasses… On n’y protège pas seulement des murs, on y préserve également des usages : “Il ne s’agit pas d’un monument, mais d’un ensemble urbain vivant. Les maisons sont aujourd'hui dans un état flagrant. On souhaiterait pouvoir le faire. Il faut de l'argent, il faut du temps aussi. La ville n'a pas été détruite uniquement depuis l'indépendance. Elle l'a été bien avant. Dès le 5 juillet 1830 [début de la colonisation française de l'Algérie], on a commencé à détruire, notamment la rue Bab Azzoun et la rue Bab-el-Oued et j'y ajoute la rue de la Marine. Ce que nous souhaitons, tant que nous sommes en vie, c'est effectivement de redonner à cette ville l'aspect qu'elle avait”, espère l’historien-chercheur.

Houari Ayadi

Producteur-réalisateur de la série documentaire Direction l’Algérie (AYADI Productions - A. Prods)

https://www.directionlalgerie.com/
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