Disco Maghreb, un monument de la musique oranaise dans la capitale du raï

Le raï n’est pas seulement un genre musical, c’est un art de dire la vie sans détour. Le style a été porté au fil du siècle par des cafés, des cabarets, mais également des studios et des labels oranais, grands producteurs à l’époque de K7. Au cœur de cette fabrique populaire, un nom revient comme une enseigne au néon : Disco Maghreb.

Né dans l’Oranie des années 1920, le raï s’est modernisé au fil du temps, pour ensuite s’internationaliser dans les années 1980-1990. Oran, la deuxième ville d’Algérie, demeure sa capitale mondiale.

Depuis les complaintes de paysans pendant la colonisation française jusqu’à son inscription récemment au patrimoine mondial de l’Unesco, ce chant populaire de l’Ouest algérien n’a pas cessé de se transformer.

Au départ, le raï est un style de musique rural qui a pour ancêtre les medahates : des groupes de musique à l’origine exclusivement composés de femmes qui animent les fêtes familiales. Le répertoire de ces maîtresses de la rime est double : quand l’un célèbre la religion et les valeurs morales, l’autre irrévérencieux, parlent notamment d’alcool et des plaisirs de la chair. L’adresse est frontale, la poésie en arabe algérien assume la franchise. Car c’est bien connu, le raï parle vrai. Il ne contourne pas la douleur, il ne farde pas le désir. Il chante avec un ton naturel : tantôt tendre, parfois bravache, souvent ironique. Considérée comme la mère du raï moderne, Cheikha Rimitti, aujourd’hui décédée, en était l’une des plus célèbres interprètes.

Dans les années 1930, parallèlement aux medahates, une autre variante est chantée sur fond d’oud, de banjo ou encore de piano : le wahrani, l’Oranais. Au fur et à mesure, d’autres instruments s’ajoutent aux traditionnels derbouka et bendir, comme la trompette et le saxophone de Messaoud Bellemou dans les années 1950.

Fin des années 1960, le raï continuent de se moderniser, grâce notamment au chanteur Ahmed Zergui, considéré comme l'un des pères du raï moderne. Il y introduit la guitare électrique et l’accordéon. Début des années 1980, c’est au tour des synthétiseurs et des boîtes à rythmes de révolutionner le raï qui s’imprègne alors des styles pop, funk, rock, reggae ou disco.

Disco Maghreb

Dans les années 80, l’apparition d’un objet en Algérie va jouer un rôle crucial dans le développement du raï : la cassette. Grâce à ce nouveau support sonore, on enregistre vite, on duplique, on vend, on s’échange les morceaux tendances. Bon marché, copiable et transportable, la K7 permet au raï, frondeur et parfois mal perçu, d’être largement diffusé. On voit alors pulluler à Oran des magasins spécialisés dans la vente des chansons du moment. Certains de ces magasins ont leurs propres studios de productions affiliés : c’est le cas de Disco Maghreb.

Dans l'épisode 1 de Direction l’Algérie, nous sommes allés à la rencontre de son propriétaire. Avec lui, nous avons notamment évoqué l'âge d'or du raï et les plus grands noms de la chanson signés dans son label. “C’est un monument parce que beaucoup d’artistes de rai ont commencé ici. Presque tous”, souligne Boualem Benhaoua.

Cheb Hasni, Cheb Nasro, Blaoui Houari… Sous son impulsion, sa maison de disques a enregistré, produit, assemblé, mis en vitrine. “On travaillait très très bien. Ce qui a tué notre métier, c’est le piratage”, explique-t-il.

Une fabrique de chebs et chebas

Au milieu des années 1980, le raï prend de l’essor et devient une véritable musique nationale en Algérie. On surnomme ses interprètes les Chebs et chebas, les jeunes. Cheb Khaled, Cheb Mami, mais aussi Chaba Zahouania ou encore Cheba Fadela et Cheb Sahraoui, toutes et tous commencent à se faire connaître à cette période.

Un premier festival est organisé à Oran en 1985. Puis l’année suivante, un autre, à Bobigny en France, qui crée un emballement médiatique. Deux ans plus tard, Khaled enregistre son album Kutché. La machine à succès est lancée et quelques années plus tard, il sort Didi, tube qui fait le tour du monde.

Jusqu’à la fin des années 1980, le raï ne cesse d’évoluer et de s’internationaliser. La disparition en 2005 de Cheikha Remitti, la mamie du raï, coïncide avec la fin de l’âge d’or de ce style musical.

Dj Snake

En 2022, Dj Snake remet au goût du jour la chanson algérienne. Il reprend le nom de la célèbre boutique-label oranaise pour baptiser son tube Disco Maghreb. Une partie du tournage a lieu à Oran. Dans le clip, un clin d'œil est fait au producteur et propriétaire de la boutique de cassettes raï des années 80. Le succès est immédiat. L’ancien magasin spécialisé devient un lieu mythique.

Le magasin ne m’appartient plus, il est la propriété du public maintenant”, confie l'ancien producteur. Restée telle qu'elle était à sa fermeture, et en ouvrant désormais ses portes aux visiteurs, la boutique fonctionne désormais comme un lieu-mémoire : on y voit des rangées de K7, des magnétos, des posters, des carnets de notes... Restée dans son jus, elle attire fans, passionnés, curieux, anciens clients. On s’y promène comme dans un studio arrêté.

Disco Maghreb cristallise ainsi un moment d’invention oranaise où les chebs et chebas de l’emblématique chanson raï ont conquis la ville, puis le pays, puis le monde.

Houari Ayadi

Producteur-réalisateur de la série documentaire Direction l’Algérie (AYADI Productions - A. Prods)

https://www.directionlalgerie.com/
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