Yves Saint Laurent : sur les traces de l’Oranais devenu prince de la mode
C’est à Oran, où il est né, qu’Yves Saint Laurent a imaginé ses premières créations. Les débuts de son existence en Algérie vont lui insuffler une passion. De cette dernière, va naître un talent, grâce auquel il va devenir célèbre, jusqu’à marquer l'histoire de la mode au 20e siècle.
Terrasse de la maison d’enfance d’Yves Saint Laurent, à Oran (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
Lorsque l’on parle d’Oran, on pense très souvent au raï et aux nombreux artistes que la ville a vu naître : Hasni, Khaled, Zahouania… À l’image de ses vedettes qui chantent la vie sans détour, la deuxième agglomération d’Algérie est réputée solaire, pleine de vie et inspiratrice. Ce n’est peut-être pas un hasard si de nombreuses figures du monde médiatique ou cinématographique en sont également originaires : le journaliste français Pierre Bénichou par exemple, les acteurs Alain Chabat et Jean Benguigui ou encore les musiciens Louis Bertignac et Étienne Daho.
Mais avant toutes ces personnalités, Oran a aussi été la ville de naissance d’un certain Yves Henri Donat-Mathieu-Saint-Laurent. L’Algérie, où il a vécu jusqu’à ses 18 ans, a inspiré le style de celui qui deviendra un célèbre créateur de collections de haute couture.
La haute bourgeoisie oranaise
Yves Henri Donat-Mathieu-Saint-Laurent est né le 1er août 1936 à la clinique Jarsaillon (appelée Sainte Anne de nos jours). Enfant timide, le jeune garçon évolue au cœur de la haute bourgeoisie oranaise. Les Mathieu-Saint-Laurent vont régulièrement à l’opéra et passent leurs vacances d’été sur les plages de Trouville, sur la corniche oranaise.
Yves Saint Laurent, enfant, en compagnie de sa mère. Photographie exposée dans la maison familiale d’Oran (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
C’est de sa mère que le petit Yves va recevoir très tôt son goût pour les tenues élégantes : “Yves s’est toujours intéressé à la mode. À 3 ans, il pleurait s’il n’aimait pas ma robe. Nous achetions tous les journaux Vogue, l’Illustration, le Jardin des Modes”, confiait Lucienne Mathieu-Saint-Laurent en 1992.
“C’est à 3 ans qu’il a fait changé ma tante de toilette. Il n’aimait pas la robe qu’elle avait. Elle l’a changée ! À 3 ans, déjà, il avait cet instinct”, a également raconté sa mère.
À l’adolescence, Yves Saint Laurent commence à exprimer ses talents de dessinateur. Alors qu’il étudie dans un collège catholique strict où il a du mal à trouver sa place, il se réfugie dans ses dessins : “J’ai mené une vie double : d’un côté, il y avait dans notre maison, la gaieté et le monde que je m’inventais avec mes dessins, mes décors, mes costumes, mon théâtre ; de l’autre, dans une école catholique, c’étaient des épreuves et un monde dont, rêveur, pensif, timide, je me trouvais exclu et où mes compagnons se moquaient de moi, me terrorisaient et me battaient”.
La rue Stora
C’est sur le plateau Saint Michel, au numéro 11 de la rue Stora (aujourd’hui appelée rue des frères Chemloul) que vit la famille Mathieu-Saint-Laurent à l’‘époque. Le jeune Yves et ses parents habitent le rez-de-chaussée et la famille de son oncle occupe le premier étage.
Façade de la maison d’enfance d’Yves Saint Laurent au 11 rue des frères Chemloul à Oran, ex-rue Stora (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
Dans ce domicile de deux étages que nous avons visité, le jeune Yves découvre le raffinement de la vie mondaine oranaise, aux côtés des amies de sa mère venues prendre le thé et discuter des dernières tendances : “Ma mère passait presque tout son temps à s’habiller, j’étais fasciné par les robes qu’elle portait d’une soirée à l’autre”, déclarait-il en 1994.
Rachetée par Mohamed Affane, un entrepreneur oranais, et récemment restaurée, l’ancienne demeure est devenue un musée ouvert au public depuis l’été 2022. Le mobilier d'époque a été récupéré et remplacé à l'identique. Plusieurs centaines de croquis d’Yves Saint Laurent y sont exposés, ainsi que des photos de son enfance et son adolescence.
Visite de la maison d’enfance d’Yves Saint Laurent à Oran (Crédit : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
Clou de la visite, son ancien et premier atelier dans lequel il a esquissé ses premiers dessins et réalisé ses premières créations.
Visite du premier atelier d’Yves Saint Laurent dans sa maison d’enfance à Oran (Crédit : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
Yves Saint Laurent décrivait sa ville natale ainsi : "Notre monde à l'époque était Oran et non Paris. Ni Alger, la ville métaphysique de Camus aux blanches vérités, ni encore Marrakech et sa bienfaisante magie rose. Oran, une cosmopole de commerçants venus de partout, et surtout d'ailleurs, une ville étincelant dans un patchwork de mille couleurs sous le calme soleil d'Afrique du Nord."
La révélation
À 14 ans, Yves Saint Laurent assiste en compagnie de sa mère à L’École des femmes, une pièce de Molière au théâtre d’Oran. Cette œuvre sera une véritable révélation artistique pour lui. Elle lui donne envie de créer son “mini théâtre”, ce qu’il fera à partir d’une simple caisse en bois : “J’avais improvisé toute une machinerie pour placer les décors, régler les éclairages, pour installer tout un théâtre”, expliquait-il au Metropolitan de New York en 1983.
En guise de comédiens, il fabrique des figurines de carton qu’il habille à l’aide d’échantillons subtilisés sur les vêtements de sa mère. “Je découpais en cachette les robes de ma mère pour habiller des personnages de théâtre. Quand je créais les costumes avec du tissu, souvent, je faisais des bêtises énormes parce que tout à coup ma mère voulait mettre une robe et y avait un morceau de tissu qui était découpé“, confiait-il en 2002.
Photographie d’Yves Saint Laurent, exposée dans sa maison d’enfance à Oran (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
La consécration
À 17 ans, Yves Saint Laurent imagine depuis son atelier d’Oran, deux collections à partir de poupées de papier découpées dans des magazines de mode.
À 18 ans, il emménage à Paris où il montre quelques-uns de ses dessins au rédacteur en chef du magazine Vogue. Le style de l’Oranais lui fait rappeler celui de Christian Dior. Le journaliste décide donc d’organiser une rencontre entre les deux hommes. Conquis par son talent, Dior engage Saint Laurent comme assistant-modéliste dès l’été 1955. Deux ans plus tard, Christian Dior décède et Yves Saint Laurent est nommé directeur artistique de la maison de haute couture. L’Oranais devient ainsi le plus jeune couturier du monde.
Article de l’ancien journal Écho Dimanche, exposé dans la maison d’enfance d’Yves Saint Laurent à Oran (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
Il repart un temps en Algérie, s'enferme dans sa chambre pour dessiner les modèles de la collection Dior à venir, puis revient dans la capitale française avec 800 dessins dans sa valise. En 1958, âgé de 21 ans, il est couronné de succès grâce à “Trapèze”, sa première collection créée pour Dior. Les médias font son éloge et le surnomment alors “Le petit prince”.
Yves Saint Laurent dans sa maison à Oran (Crédit photo : Direction l'Algérie / Ayadi Productions - Septembre 2025)
À l'été 1960, en pleine guerre d'Algérie, il est appelé à faire son service militaire, mais redoutant d'aller se battre dans son pays natal, il est hospitalisé plusieurs mois pour dépression. La presse française va se déchaîner contre lui. Reconnu inapte au service militaire, Yves Saint Laurent est finalement réformé. Mais il va perdre son travail. Suspendu de ses activités professionnelles chez Christian Dior, il va même être licencié par la maison de haute couture, propriété à l'époque de Marcel Boussac, directeur du journal L'Aurore, un quotidien pro-Algérie française. Pour rupture abusive de contrat, Saint Laurent décide de poursuivre son ancien employeur en justice et obtient gain de cause. Avec l'indemnité financière qu’il reçoit et le soutien financier d’un milliardaire américain, il fonde sa propre entreprise en 1962. Sous sa propre bannière, il lance des innovations qui marqueront à jamais le milieu de la mode : comme le premier tailleur-pantalon pour femme, le premier smoking, la première combinaison-pantalon, la robe Mondrian, la saharienne, ou encore les cuissardes et les blouses transparentes.
Moderne et avant-gardiste, il est le premier à engager dans ses défilés des mannequins d'origine africaine ou asiatique dans les années 1970. Dans les années 1980, sa société se développe grâce notamment au succès de ses parfums, ses cosmétiques et ses accessoires de mode. À la fin des années 1990, il renonce au prêt-à-porter afin de se consacrer exclusivement à la haute couture. En 2002, il met fin à sa carrière, avant de mourir le 1er juin 2008 à Paris des suites d'un cancer du cerveau.
Yves Saint Laurent laisse derrière lui un héritage majeur à l’industrie de la mode, ainsi que de nombreux classiques indémodables de la garde-robe féminine. Les musées, le cinéma ou les éditeurs ne cessent depuis, de lui rendre hommage.